Page Première
La forêt bleue était calme, encore assoupie lovée dans l'aube blanche quand Ooor ,invisible, lança cette question à travers l'air, comme une pierre troue le ciel.
- Poonh?...as-tu aimé ici?
Poonh se recroquevilla sur sa branche, serrant ses genoux entre ses bras, ramenant ses ailes sur ses épaules. Elle laissa le temps s'écouler, l'eau s'apaiser en elle, pour répondre au sage sagement.
- J'ai aimé un songe. Peut-être moins: son contour seulement.
Et un frisson parcourut sa plume avec ce bruit argentin que fait la menue monnaie des feuilles du bouleau quand le vent les chatouille.
-On t'a dit amoureuse...
-C'était un faux positif. Tout ce que je désirais c'était juste ne pas être rejetée.
-Le père encore, Poonh?
- La blessure initiale. Je l'ai mangé. Il en subsiste pourtant la partie la plus dure au creux de mon ventre, je la digère lentement.
-Mais quand bien même, Dooo, n'a t'il pas compté pour toi?
- Mon frère Dooo. Car de la même portée, du même sang, de la même orbe. Un errant. Et si malheureux malgré son plumage brillant, son beau chant. Orgueilleux comme une trompette, si prompt à l'aveuglement. Pauvre petit. Bien sûr que je l'aime, comment faire autrement? Même s'il me rejette...
-Avance encore Poonh, tu as connu mille fois le rejet, l'exclusion, mais au fond tu ne voulais pas appartenir au groupe. Tu ne peux appartenir à aucun groupe. Dooo n'est qu'un passant, n'en fait pas un leurre pour te fuir toi-même.Ta naissance froide, ton enfance solitaire couronnée d'herbes folles et de blé dérive encore avec les nuages. Dooo n'est pas la pierre à ta cheville qui t'empêche, tu es libre de toutes entraves. Il n'est pas même un grain de sable dans les sublimes rouages de ton âme. Vois: tu n'as pas le besoin d'être aimée. Tu ES l’Amour. En vérité ta seule soif c'est de te fondre dans la vibration majeure du monde. Ta solitude est d'or: tu es née pour rayonner.
-Je sais tout ça Ooor, je le sais dans mes os même si je ne puis me résoudre à voler. Pas encore. Quand à rayonner, parfois je me sens comme un soleil mort...
-N’attends plus Poonh, tout ce que tu sais tu ne peux plus te le cacher. N’est-ce point la vérité ?
-Bien sûr Ooor, bien sûr. Tous voient en moi la perle au fond de mon eau : je suis si transparente. Je n’ai jamais voulu être autrement. Mon attente doit prendre fin. Je vais voler.
Bientôt.