Le livre de Poonh


 Page seconde




              "- Il m'arrive de drôles de choses ces temps-ci tu sais Ooor. Je crois que je suis en train de faire une nouvelle mue...Je suis là assise au bord d'une vie et d'un coup cela pousse de l'intérieur de mon corps.

Les filaments.

Une multitude de filaments. Blancs, lumineux, vivants. Comme ces gracieuses anémones de mer, ils ondulent doucement dans l'air comme dans le vent. Je ne sais pas ce que c'est d'où ça vient, en tout cas c'est en dehors de ma volonté. C'est là et ça vit. Je ne suis pas le "noyau". Le point de départ du phénomène est ailleurs, loin, en dedans au-dehors.

Les filaments viennent caresser l'autre qui ne sent rien, ne voit rien. C'est très doux, non invasif. Peu à peu mon vis à vis est enveloppé dans une gangue luminescente. Et quoi qu'il dise je ne peux que l'aimer. Le comprendre jusqu'au fond de lui-même. Cette chose c'est de l'amour qui se matérialiserait ...juste pour mes yeux. Tu vois?"

Poonh serra plus fort ses genoux contre sa poitrine dans le cercle de ses deux bras, ses ailes l'enveloppèrent, la cachant aux yeux de tous mais pas d'elle-même. Dans l'ombre ambrée de sa plume, sa pensée s'évasait.  Ooor, toujours invisible, attendait patiemment la suite de son cheminement. Sa voix claire aux tonalités si calmes s'éleva à nouveau.



"- Tu sais, il y a des vies auprès desquelles on est assis comme au bord d'un puits. Pas besoin de se pencher pour entendre hurler la souffrance tout au fond...

Tell a un trou en elle. Au centre. Un trou rond, noir et profond. Et je suis tout au bord, tout le temps, prête à tomber. Sa souffrance tue hurle en moi.Sa souffrance est ma souffrance. Regarde: j'en tremble rien que de la dire. Sa souffrance camouflée sous les choses qu'elle possède, son goût du luxe, sa classe, son métier.  Mais tout ça c'est de la poudre aux yeux. Un maquillage putassier. Un turlututu pour masquer le vide et les larmes cachées dans l'obscurité, le soir.

Elle qui ne désire que deux bras pour l'entourer.

Parfois, le vernis rouge craque, et ce qu'il y a au fond remonte violemment. Cela atteint le bord du puits, le bord des lèvres, ça brûle certainement. Et puis...ça redescend. Faute de mots, ça redescend. Faute d'oreilles qui voudraient bien écouter. Aussi. Surtout.

J'avoue je suis lâche et ce qu'il y a au fond du trou me fait peur. Je n'ai pas encore agi, je n'ai pas encore tenté le moindre geste pour essayer, ne serait-ce qu'un peu, d'aider Tell. C'est que je ne détiens pas de miracle dans ma poche ou mes mains, je suis consciente mais j'ai de faibles moyens! Je n'ai pas de pouvoirs magiques, je ne suis pas le Maître des Illusions. Je ne suis pas de ces gugusses qui posent leurs mains sur votre visage et décrètent: Vous êtes guérie. Cela fera cent pièces d'orfle. »




Poonh serra davantage ses genoux, sachant par avance ce qu'Ooor ne manquerait pas de lui répondre. Et il le lui dit parce que tel était le rôle du Passeur, avec cette manière douce de  pousser vers l'avant et le haut ses hésitations.

"- Non, ce n'est pas vrai, Poonh voyons, tu te mens... Tu sais bien que comme tous les êtres conscients tu es toute-puissante. Si tu veux aider Tell tu le peux. Si tu veux l'envelopper de tendresse et de chaleur, tu le peux. Les filaments. Ils ne sont qu'une émanation de ton âme, de ton désir d'étreindre l'autre, de prendre Tell dans tes bras et de la bercer, de lui donner ton amour. Pourquoi ne le fais-tu pas? Tu pourrais l'ouvrir, elle serait enfin libre. De curer la blessure, de se remettre debout, d'échapper à ses propres miroirs....Mais toi...de quoi as-tu vraiment peur qui t'empêche d'agir?


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire