Vernaison II










Vernaison, mon pays d'enfance
et de cocagne
gît de tout son long au couchant
de ma mémoire.

Il tremble encore pudiquement caché
par le souffle de la rivière qui va
comme une vierge nue, furtive
entre les joncs dorés.

Le chemin creux
qui par la main m'y mène
se tache le soir de longues ombres bleues.

Il se plie à un bout, après le jardin fou
de Rose-Anne, pour s'achever en delta
dans la cour de la ferme.
Il marche droit un temps, parallèle au ciel,
comme une rivière de cailloux blancs
où se reflètent les nuages
puis plonge en longue glissade l'hiver,
coudoyant les anciennes écuries
où plane l'odeur émouvante du dernier cheval.

Souvent je joue là, seule,
assise au trône du talus comme à celui du monde
des coquelicots je fais des poupées
je croque des grains de blé mûrs:
j'imagine le pain qui viendra après
qu'on les aura coupés
mais je n'aime pas la terre tondue
et les moignons d'épis durs
rouges du sang de mes chevilles.

Par-là, j'ai semé les taillis de cabanes
trous de lapins où je me tiens serrée
genoux contre poitrine, et d'où j'aime
voir la pluie tomber d'un ciel de graphite.
J'y suis plus en sécurité
qu'entre quatre murs qui m'emprisonnent
et m'empêche de respirer.


2014

Marie H.


"Mais il me reste un fils, Madame. Vous saurez quelque jour pour un fils, jusqu'où va notre amour." Andromaque de Racine.

Au-delà de la polémique sur l’euthanasie je repensais à Marie Humbert et une évidence m'a frappée: une mère qui tue son enfant pour abréger des souffrances que les hommes ne peuvent plus soulager, commet le plus grand acte d'amour qui soit.

On pourrait le percevoir comme un acte d’égoïsme insoutenable mais c'est exactement le contraire. C'est tout le contraire. Cette mère a rendu son fils en s'arrachant le coeur jusqu'à l'âme comme les abeilles s'arrachent le ventre quand elles piquent pour se défendre...

Quand la vie n'est plus humaine et que la mort le devient.

Fermer une porte et en ouvrir une autre, toute grande. Sur une possible lumière, en tout cas le repos.

Yoda a tort



C'est facile l'Amour.

C'est difficile la haine.

L'Amour ça coule de source, c'est la petite fontaine intérieure, celle de marbre blanc au milieu des fleurs au palais du sultan. L'eau est toujours en murmure quel que soit le bruit que l'on fait, si on écoute: on l'entend. Elle apaise toute soif pour un peu qu'on l'étanche.

La haine demande tant d'énergie pour exister. Il faut entretenir la colère, jeter des tas de mensonges que l'on se fait à soi-même dans le feu, fabriquer tant de bile noire, de caillots pour se boucher les grandes orgues du coeur et s'opacifier les yeux, pour fermer le poing et frapper. Tout cela demande beaucoup d'énergie.Il faut n'être plus qu'un fût nucléaire de feu mort, blanc. Quand celui de l'Amour est tout d'ors rouges et vivant. Il faut avoir brûlé son cerveau et la pensée de printemps que tous nous recélons, presque détruit son âme. Certains parce qu'ils sont perdus depuis l'aube de leur vie y arrivent, d'autres jamais ne le pourront, même battus comme plâtre par une indigne parentèle, l'or toujours débordera de leurs yeux.

Je suis très fainéante. La colère me coûte trop cher à l'entretien. Il faut trop se travailler au corps et au mental pour la conserver, je n'ai pas de patience pour cela. Je m'embrase aussi vite que je m'éteins et on s'étonne que mon sourire revienne soudain. Pour la haine je n'ai aucune constance. On me pense versatile quand l'ombre n'a juste qu'une faible prise sur mes lumières.

Pour l'Amour par contre ma patience n'a plus de borne, ma fidélité est celle des astres et des pierres. Rien ne m'atteint à cet endroit-là. La haine et tous les sombres sentiments meurent quand elles s'en approchent. L'Amour est mon talisman protecteur...

Noire la flêche



Parfois un trait noir
de pure haine
vireton ou dondaine
m'empenne me traverse
renverse toute lumière
me dévaste de feu sombre
me fait boiter de toute mon âme
et du coeur,
passer du côté de l'ombre.
Je vois ces hommes
dont il faudrait scier les poings
couper la queue comme à des chiens
dès la naissance
pour les empêcher de
violer femmes et enfants
de tuer de cogner
de détruire jour après jour
en toute conscience
protégés par la Loi inique
du silence, et parfois
celles des hommes.

Mais
aucune flèche noire ne tient
et ne déverse longtemps son venin
dans mon coeur d'amour épris.


2014

Adieu Maya



Adieu Maya
ton voile se déchire.
J'avance le front et les idées claires
dans un jour qui n'est plus gris.
Maintes fois tu m'as laissé croire
que tout recommençait, qu'un printemps germait
que même le soleil était nouveau,
que l'histoire était belle
parce qu'impossible.
Jusqu'à mon âme qui était envoutée.
J'ai vécu longtemps dans une lumière supposée,
je m'éveille dans l'ombre,
vois que tu m'as trompée.
Adieu Maya
je n'aime pas ce que je vois.
Je reprends mon coeur où je l'avais abandonné.

Adieu Maya
ton voile est déchiré
tu es nue pauvresse et je n'aime pas ta voix de fausset.


2014




Paul

Alexander Jansson




        C’est là qu’il l’amena. C’est là qu’ils apparurent.

Sur le ruban violet du chemin des collines, celui qui était si blanc à midi. Celui qui courait en travers de son coeur jusque chez ses grand-parents choisis.Le chemin de son enfance à elle.

Ils étaient debout face à face. C’était l’été, le crépuscule. Il avait de l’or plein le front, elle portait une couronne de rubis dont les reflets ruisselaient sur ses joues et ses épaules. Ils ne faisaient pas partie du paysage : ils étaient le paysage.

Ils étaient le monde.

Il était toujours aussi beau, éternellement jeune dans ses boucles. Elle avait encore seize ans.

Il n’était pas encore perdu. Etait-il jamais parti ?

Au fond, il n’avait fait qu’un pas en avant et avait disparu de l’autre côté du miroir. Il était mort ici, vivant là-bas. De l’autre côté du miroir. Elle vivait sa vie, continuait à vieillir de ce côté-ci. Mais elle l’appelait sans cesse, son sang l’appelait sans cesse, sa chair hurlait le froid de l’absence, son âme chantait comme une sirène pour l’attirer. Et parfois, il entendait ses cris, même là-bas. Alors, il revenait la consoler en passant par la seule porte possible : celle des rêves.

Ils étaient debout face à face. Chacun habitant le corps de l’autre, et le sien en même temps. Ils demeuraient immobiles, tendus telles deux flammes souriantes dont le feu se courbait irrésistiblement vers l’autre.Elle entendait le vrombissement de l’incendie en elle, elle savait quelle grande et belle chaleur elle dégageait quand elle était auprès de lui. Même si elle se sentait comme une ombre qui léche le soleil.

Il buvait son visage levé, il était si grand elle était si petite. Elle l’adorait dans la souplesse mordorée de ses boucles déliées, le modelé puissant de sa bouche. Il ne l’avait jamais embrassée. Ils n’avaient pas eu le temps.

Mais cette nuit-là, il se pencha. Doucement.

Et son baiser fut plus qu’un baiser: ce fut un sceau posé sur la page blanche d’un amour silencieux. Pour le sanctifier. Pas un sceau rouge, une souffrance de cire, non : un sceau de neige. Blanc.Léger. Pur.

Elle ferma les yeux et fut projetée instantanément dans ses seules lèvres. Elle n’était plus que la douce peau de ses lèvres contre la douce peau de ses lèvres à lui. L’attente pris fin, ils étaient enfin réunis.Cela dura une éternité, quelques secondes de joie absolue.

Puis, le voile se déchira juste entre leurs deux bouches.

L’aube une fois de plus les avait séparé...

....




Tu sais, les gens qui s'éloignent
j'ai peur de les poursuivre...

Alors je reste immobile
dans la parcelle d'ombre
qui est dans la lumière
et j'attends
j'attends
j'attends
j'attend
j'atten
j'atte
j'att
j'at
j'a
j
Je
disparais.


2014

Photo DAVID PONCE. J'ai eu un gros coup de foudre lorsque tu as publié cette photo, j'espère que tu ne m'en voudras pas de te l'avoir emprunté...

Des longues saisons



Nous avions des étés
qui nous brûlaient le front
et des hivers
qui nous brûlaient les mains.

Les saisons étaient amples
et profondes,
nous les habitions pleinement
comme si nous avions
le temps.

J'aimais les étés et mes pieds
dans la moindre flaque,
les blés si blonds bercés
par le Mistral
et les orages qui finissaient
la tête contre la montagne.

J'aimais l'hiver blanc et dur
sous la botte remplie de paille,
nos visages rouges et ce froid
qui ne nous empêchait pas
de battre la campagne.

L'automne fleurait le sexe
dans ses sous-bois humides refermés
sur les chaleurs d'été,
c'était un faune tout ruisselant de bronze
et d'or, le printemps, la nymphe rose
qu'il poursuivait.

Tout était si beau
du temps des longues saisons.

Nos mains devenues adultes,
inconséquentes
ont brouillé les couleurs du tableau.
Les saisons s'effacent
et passent,
de plus en plus rapides, sans force
dans des couleurs liquides.

Le printemps ne sait plus en quel mois
il habite, il fleurit en mars
et se meurt sous la neige d'avril.
L'été ne caresse plus ses fruits,
l'automne a perdu sa fête virile.

Nous voici par notre faute, tous punis
par un temps presque uniformément gris
de saisons qui transitent sur la pointe
des pieds, en catimini...



2014