Vernaison, mon pays d'enfance
et de cocagne
gît de tout son long au couchant
de ma mémoire.
Il tremble encore pudiquement caché
par le souffle de la rivière qui va
comme une vierge nue, furtive
entre les joncs dorés.
Le chemin creux
qui par la main m'y mène
se tache le soir de longues ombres bleues.
Il se plie à un bout, après le jardin fou
de Rose-Anne, pour s'achever en delta
dans la cour de la ferme.
Il marche droit un temps, parallèle au ciel,
comme une rivière de cailloux blancs
où se reflètent les nuages
puis plonge en longue glissade l'hiver,
coudoyant les anciennes écuries
où plane l'odeur émouvante du dernier cheval.
Souvent je joue là, seule,
assise au trône du talus comme à celui du monde
des coquelicots je fais des poupées
je croque des grains de blé mûrs:
j'imagine le pain qui viendra après
qu'on les aura coupés
mais je n'aime pas la terre tondue
et les moignons d'épis durs
rouges du sang de mes chevilles.
Par-là, j'ai semé les taillis de cabanes
trous de lapins où je me tiens serrée
genoux contre poitrine, et d'où j'aime
voir la pluie tomber d'un ciel de graphite.
J'y suis plus en sécurité
qu'entre quatre murs qui m'emprisonnent
et m'empêche de respirer.
2014