Saisons des amours








Obok n’est pas le plus fort, ni le plus grand des grands mâles d’Akagari. Mais il a ma faveur. Et les deux plus belles poches testiculaires qu’on ai jamais vu de mémoire d’agak. Rouge vif, brillantes et gonflées à craquer de liquide fécondant. Sa seule richesse. Son seul intérêt.

Obok n’est pas très intelligent. Mais aucun des mâles ne l’est. Nous leur laissons gouverner Akagari et se faire la guerre, tant qu’ils ne dérangent pas nos jeux délicats et nos chaises longues. Ils sont grands et forts, nous sommes malignes. Chaque année à la saison des amours, ils croient choisir. Les naïfs. Nous choisissons. Moi, Aya-Aya, j’ai choisi Obok.

Depuis deux jours tiers temps, il concentrique autour de ma maison. Il respecte à la lettre les usages et les rites. Son appendice caudal trahit cependant son impatience en venant battre mes murs. C’est comme un tambour qui rythmerait la montée de son désir. Son pas se fait plus pesant à chaque heure qui passe sous l’ardeur des soleils jumeaux. Il attendra mon bon vouloir. C’est la Loi.

Je quitterai ma maison à mon heure. A ma guise. Je le laisserai parader, agiter ses plumes et son sexe sans bailler. Bien sûr, il aura pissé partout et je devrai supporter que cette ignoble puanteur supplante en mon jardin le subtil parfum des fleurs. Mais il faut bien jouer un peu leur jeu. Alors, je mettrai de la concupiscence dans mon oeil droit, et de l’admiration dans mon oeil gauche. Ma peau prendra une teinte rouge du plus bel effet, et je l’autoriserai à renifler mes parties intimes.


Après cela, tout ira très vite. Les mâles ne connaissent rien de ces amusements qui aiguisent l’appétit. Patiente, je me laisserai saillir, et dès qu’il aura payé son tribut, je lui ferai comprendre sans ménagement qu’il n’est plus chez moi le bienvenu. Il partira la queue basse, comme tous les autres. Dans quelques lunaisons, je mettrai au monde près de deux cents délicieux rejetons. Je choisirai le plus beau de tous pour mon enfant, et mangerai les autres. Ils sont si croustillants…



Lilith







Son corps.

Une multitude de bras et de jambes
Une poigne
Une gangue
Close autour de ton noyau
De ta sève, de ta chair et tes os,
Ta sueur, ton sang chaud
Tes coups de reins, ce désir aveugle et sourd
Qui te pousse vers la jouissance,
Ton seul point d'horizon, ton idée fixe,
Ton non-retour.

Dans les bras de la femme araignée
Tu n'as plus de tête
Tu n'es plus que va et vient, un mouvement
Un souffle dans la tempête
Un peu de bois sec prisonnier d'un tourment.
L'étreinte se resserre au plaisir croissant
Étouffe tes grognements de bête
Tes vagissements d'enfant.

A l'instant où jaillit le feu,
Son corps se referme sur tes râles
Comme un tombeau.
Elle t'accueille dans ses ombres profondes
Douces et rouges
La chair est confortable où tu t'endors.
Mais tu es mort dans son piège
Et tu ne le sais pas encore.


2010

Le Coeur Transfiguré



Enoki Toshiyuki





Si je t’aime ?

Je t’ai toujours aimé.

Je t’aime d’un ailleurs dont nous n’avons plus qu’un vague souvenir. Un souvenir ténu, fil d’Ariane qui nous relie par ce coin de mémoire inaccessible, qui sait tout mais qui se tait. Et dont on ne capte les yeux ouverts, que de vagues reflets comme l’onde mobile trahit l’éclat furtif de la truite. Un éclat argenté, rien de plus. Le reste, c’est le cercle dans l’eau qui nous le dit.

Je ne sais pas, même encore aujourd’hui, ce qui nous rapproche, aimante nos pôles antagonistes. Je ne sais pas mettre un nom sur cette chose, ce noeud, ces barbelés, cette cellule ouverte, ces menottes mentales. C’est comme un appel, un effluve, une trace, c’est indistinct, incertain, et potentiellement indestructible. C’est comme une soif qu’aucune source ne peut étancher, une faim que même la mort ne rassasiera pas. Je le subodore.

Peut-être que c’est beau.
Peut-être que c’est moche.
Peut-être que c’est faux.
Peut-être que c’est un songe. Ou un cauchemar.

Que faire ? Qu’enfer ?

Mon coeur, ma fierté, mon soleil, me porte naturellement vers le haut. Où tu n’es pas. Pas encore. Sans doute jamais. Je suis déjà trop loin, si proche, irréversiblement proche, et pourtant déjà trop loin. On s’est croisé, manqué. Le témoin est au sol, dans la poussière. Je ne l’ai pas ramassé. Une autre l’a fait. Le cordon demeure, inaltérable même souillé. Il luit de son or magique.

Quand tu viendras lire mes mots, comme à l’eau de la source claire tu ne pourras que boire, te baigner le visage, te laver les mains, mais tu ne pourras rien emporter. Tu ne pourras qu’un instant, rien qu’un instant, apaiser ta soif. Goûter à cette fraîcheur vulnéraire. Seulement cela.

C’est peu, mais c’est tout. Et c’est déjà miraculeux.

Je ne sais pas ce qui nous lie, et il y a tant de miradors…




                                                                           





C'est à cause du chat






C'est à cause du chat
qui dort rond comme une galette
au bout du lit
que mes pieds ne dansent plus la nuit
sous les draps.
C'est parce qu'il me rappelle
à coups de petits crocs blancs
qu'il est là
tel un point au bout de moi
que mon agitation cesse.
C'est le calme du chat
qui s'insinue en moi, son regard immuable
sa grande sagesse, son immortalité.
C'est à cause du chat si je m'apaise,
si tout redescends, si chaque chose reprend sa place
ni trop haut ni trop bas,
c'est à cause du chat que je deviens chatte
que je me pose en sphinge d'obsidienne
et que du fond de mon temple, je contemple
tout ce qui vient à moi.


2014
Léonor Fini