Mauvaise tête



Il m'arrive d'interposer des murs de verres entre moi et les autres.

Des murs transparents et froids entre lesquels je glisse sans me faire mal. Sans aussi me faire de bien. C'est clairement un refus de m'ouvrir. C'est clairement un refus de toute pénétration.

Il y a quelques mois j'ai acheté ton Homme-joie et je ne l'ai pas lu. Enfin si, je l'ai ouvert, je l'ai lu mais sans te laisser entrer. Ou sans que j'entre chez toi. Je suis restée sur le seuil de ta maison, butée comme une enfant qui fait "sa mauvaise tête". Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je me suis empêchée d'aller à ta rencontre, je me suis empêchée la joie simple de recevoir cet amour simple qui déborde de toi.Devant mes yeux il y avait des jugements sans fondements qui faisaient écrans, oeillères. J'ai même écrit que tu n'étais pas à ton meilleur. Honte à moi! Si je fluctue entre le haut et le bas, tu restes dans ton écriture égal à la lumière et au lilas. Définitivement touché par la grâce. Et brûlant doucement en elle, par elle.

Hier, pendant que j'attendais mon enfant dans cette vallée peinte en blanc entre des montagnes d'angoisse, j'étais suffisamment faible pour ne plus faire barrage à ton soleil et ton air sans souillure. Je t'ai laissé entrer et tu as couru jusqu'à mon coeur pour y déposer cette lumière tendre qui te caractérise. Ton carnet bleu m'a bouleversée. J'aurai aimé croiser dans ma vie quelqu'un que j'aurais pu aimer comme tu aimas "G". Comme tu aimes encore "G". Je lui aurais écrit ces mots-là aussi. Si je l'avais rencontré...

"...tu ouvrirais ce carnet. Tu verrais qu'il y serait question du ciel, de cette part du ciel qui reste en nous, électrisée, nocturne, sauvage, inaliénable. Tu verrais sur le bleu de ces pages la blancheur d'une étoile, qui est celle aussi du sel, du feu. Des mots passeraient sous tes yeux, dans le matin de tes yeux. Un mot comme celui-là: "âme". L'âme. Un linge frais de soleil, amoureusement plié. Un drap d'or pour la couche des amants, liseré de noir, brodé avec les initiales conjointes de l'orage et de l'aurore. Tu lirais encore, plus loin. Vers d'autres mots.Tu lirais les mots précieux, les mots ruisselants, les mots princiers, ceux du désespoir, ceux, les mêmes, de l'espoir. Tu comprendrais alors. Tu comprendrais que dans chacun de ces mots, sur chacune de ces pages, il n'aurait été question que de toi, que de cette merveilleuse coïncidence entre toi et l'amour que j'ai de toi. Entre toi et ces mots qui sont les miens pour te dire. Entre toi et ces mot conçus dans la nuit, engendrés par ce désordre qui suit ton entrée en mon âme et qui la pacifie. Tu comprendrais que je n'ai jamais écrit que pour toi, même avant de te connaître, même dans le temps, dans l'immensité sombre du temps précédant notre rencontre. " Christian Bobin in "L'Homme-joie".

Le dieu simple





Je te vois dans l'écume rose de l'aube
ce soleil encore pâle, c'est toi.
Je te vois dans chaque pétale, chaque feuille
dans la fourmi qui trimbale
une graine qui fait dix fois son poids.
Tu es aussi - je n'en doute pas- dans la magie des étoiles
celles du ciel et celles, innombrables
qui constellent les yeux de mon enfant.
Oui tu es bien là, dans chaque fruit offert par l'arbre,
la chair de la tomate, l'abeille qui passe,
et le linge caressé par le vent.
Dans la pluie qui tombe, je souris
car je te sais là, sous mon parapluie, l'été
je t'aime encore plus, mes pieds foulant ta peau de sable
et respirant tes embruns.
Cet air qui me pénètre c'est ton haleine,
et cette humidité déposée sur mes lèvres
c'est ton tendre baiser je le sais.

Tu es le seul dieu véritable
mon dieu pauvre et lumineux des flaques...


2014

Des étoiles en somme...



"Vous êtes 71% d'eau claire, 18% de carbone, 4% d'azote, 2% de calcium, 2% de phosphore, 1% de potassium, 0, 5%de soufre, 0, 5% de sodium, 0, 4% de chlore. Plus une bonne cuillerée à soupe d'oligo-éléments divers: magnésium, zinc, manganèse, cuivre, iode, nickel, brome, fluor, silicium. Plus encore une petite pincée de cobalt, aluminium, molybdène, vanadium, plomb, étain, titane, bore.

Voilà la recette de votre existence.

Tous ces matériaux proviennent de la combustion des étoiles et on peut les trouver ailleurs que dans votre propre corps.

Votre eau est similaire à celle du plus anodin des océans. Votre phosphore vous rend solidaire des allumettes. Votre chlore est identique à celui qui sert à désinfecter les piscines.

Vous êtes une cathédrale chimique, un faramineux jeu de construction avec ses dosages, ses équilibres, ses mécanismes d'une complexité à peine concevable. Car vos molécules sont elles-mêmes constituées d'atomes, de particules, de quarks, de vide, le tout lié par des forces électromagnétiques, gravitationnelles, électroniques, d'une subtilité qui vous dépasse.

Rien de ce qui vous entoure dans le temps et dans l'espace n'est inutile.

Vous n'êtes pas inutile.

Votre vie éphémère a un sens. Elle ne vous conduit pas à une impasse. Tout a un sens.

Agissez.

Faites quelque chose, de minuscule peut-être, mais bon sang, faites quelque chose de votre vie avant de mourir. Vous n'êtes pas né pour rien. Découvrez ce pour quoi vous êtes né. Quelle est votre infime mission?

Vous n'êtes pas né par hasard."

Bernard Werber.