Le fils de vingt ans



Bon anniversaire mon petit garçon.



Oui, tu demeures pour jamais, mon petit garçon. Mon fils aimé et parfois combattu.

Je t’écris cette lettre depuis des mois, des années, depuis vingt ans. Depuis le jour de ta naissance.

Je me suis préparée depuis ton premier souffle à ton envol, ancrant dans mon cœur ton individualité. Tu n’as jamais été mien, mon fils, en te mettant au monde c’est à toi-même que je t’ai donné. Ce ne fut pas bien dur, la vie m’avait préparé en me faisant naître d’une lionne jalouse qui m’a longtemps mangé. J’ai donc toujours pris garde à ne pas laisser pousser mes dents. De fait, tu as grandi entier.

Et te voilà, mon presqu’homme, mon enfant d’hiver, venu à moi sur le bateau cliquetant de givre de Janvier. Mon orgueilleux, mon étincelant. Si tendre, si fondant sous la glace. Ce froid qui m’a dérouté si souvent, cette réserve, ce silence. Silence si différent du mien.Plus profond, sombre comme une forêt hivernale quand le mien est la lumière verte du printemps sur le pré.

De mes deux enfants, tu es celui qui porte les signes de ma lignée. Les sourcils hauts perchés, la peau fine, le nez troussé et ce sillon au menton qui raconte tes ancêtres paysans. Mais de toutes tes fossettes, ma préférée, c’est l’orpheline sur ta joue qui sourit.

Aujourd’hui tu vis loin. Et je ne sais rien de cette vie. Je t’espère heureux, c’est en fait mon seul désir.Tu appelles quand le monde te rattrape dans la gaieté de ta jeunesse, il est bien plus exigeant que moi, lui qui veut tout savoir. Puis, aussitôt ta cheville délivrée de ce poids, tu m’oublies. Cela t’est d’autant plus facile que tu sais que je suis immuable.

On sait bien que le Ciel a tourné comme la vague un roc patient et l’a appelé « Mère ». Je suis de celles-là. Même si nos deux fronts butés se heurtent, que ton orgueil blesse mon humilité, je serai toujours ta mère. Je volerai à ton appel, fondrai comme la foudre sur ceux qui te voudront du mal, je pourrai même tuer avec la froideur d’une lame, mordre et arracher les chairs si tu étais menacé. Je serai là pour te soigner, te consoler, t’indiquer d’autres routes, d’autres ciels, quand tu seras perdu. Je serai là.

Mon petit garçon, je t’aime d’un amour qui est autour de toi comme une lumière, pas une prison. Dans mon regard et dans mon coeur tu vas librement.Parfois le doute passe dans tes yeux, tu te crois moins aimé que ta soeur, sache que ce doute est ce qui, au monde, me fait le plus de mal.Ne doute jamais de mon amour. Il est entier, inaltérable, unique, puisque toi-même l’est. Mon amour pour toi ne ressemble pas à celui que j’ai pour ta soeur, comment le pourrait-il ? Vous êtes si différents. Mais il n’est pas moindre.

Je suis fière de toi. Je ne suis pas certaine de te l’avoir dit un jour. Je ne m’en souviens pas. Je devrai te le dire pour que tu le saches.Je suis fière de toi, mon fils. Fière de ce que tu es et où tu vas. Je prie pour que tu deviennes un homme. Il y en a si peu...


Bon anniversaire, mon petit garçon.

Maman

Arbonaissante



J'ai un arbre dans la tête. Tu te rends compte!

J'ai un arbre dans la tête. Enfin, la canopée (ça se voit là, dis, que j'ai des feuilles qui me sortent des oreilles?), le fût je le sens dans ma gorge (il m'oblige à tenir la tête droite)  et les racines sont plantées dans ma poitrine. Les racines font un moïse où reposent mes organes internes. Puis elles cheminent vers le bout de mes doigts, dans mes pieds et au-delà. L'Arbre me relie.

Je le sens.

Je suis éblouie, émerveillée. Que tu aies mis enfin l'explication sous mes yeux.

Et tous ces trucs en moi avec lesquels je composais au mieux, luttais au pire, c'était du pain béni.

Cette impulsivité que d'autres appelaient violence, cette émotivité que d'autres appelaient sensiblerie, mon incapacité notoire à gérer l'ampleur effarante de ce qui me débordait trop souvent. C'était cadeau. J'étais un être amplifié par l'Arbre. Simplement.

Quand je regardais une fleur je tombais plus loin que son coeur: c'est l'univers qui se faisait une petite bouche et  m'avalait. Le ciel, si j'osais lever la tête, me buvait, ou me noyait en se vidant d'un coup dans mon gosier. Mais d'une façon ou d'une autre il m'absorbait. Toutes ces sensations sous mes doigts, ces parfums dans mes yeux, cette musique dans ma nuque. La solitude dans le groupe...le repli. L'isolement.

Et cette insatisfaction permanente qui me paralysait quand je bouillais pourtant d'agir, cette soif d'absolu, de perfection. Ces milliards d'idées, d'envies, qui ne se réalisaient pas parce que je ne m'estimais pas capable. Mon égo que je tabassais s'il montrait son vilain museau. Cette manière de voir tout d'emblée, de prendre les autres dans la gueule tout le temps. Leurs douleurs, leur mal-être, deviner les blessures au fond des yeux et en être déstabilisée. Ce calvaire de voir celui des autres. Savoir que l'on pourrait faire "quelque chose" et ne pas le faire parce que de quel droit on le ferait. Quelle légitimité?

C'était l'Arbre.

C'est l'Arbre qui a fait de moi un gland.

Alors que tout pourrait fleurir. Exploser comme le printemps. Mais maintenant que j'ai compris de quoi je suis capable, je peux me camper sur mes deux jambes,

et rayonner de toutes mes branches.




Paix







Je pourrai glisser dans la mort
          comme dans un lit noir
                     aux draps d'étoiles.


Tout mon corps parfois se réjouit
          un instant de ce repos final.

                    Puis, je pense à toi
                           
         et la mort amie me terrifie.


La mort serait moins effrayante
          si quelqu'un tenait ta main gauche
                 pendant que je lâche la droite...



2015