Tomber en haut


Ça lui arrive comme ça.

De plus en plus souvent. Il suffit qu'elle lève les yeux vers le ciel: aussitôt elle tombe dedans.

Elle tombe dans le bleu et c'est comme tomber dans la paix. Elle sourit. Elle ne peut pas s'en empêcher. Car dès qu'elle est , elle est reliée à la joie.  Pas une joie de foire ou de carnaval, bruyante et passagère, non: une joie de paysage de montagne, d'océan, de désert. Une joie fondamentale et grave. Profonde, lumineuse.

Ça lui arrive de plus en plus souvent. Il suffit qu'elle le veuille, qu'elle appelle et aussitôt tout s'ouvre en elle, autour d'elle. Tout l'accueille, la reçoit. Elle a cette sensation familière de se partager en deux sur le devant, et de s'ouvrir à deux battants. Elle s'ouvre sur une lumière calme, apaisante, attirante.Et parfois ça lui fait peur. Parce qu'elle pourrait s'y perdre ou plutôt, elle pourrait s'y donner avec joie, avec tellement de joie. Elle voudrait se rouler en boule dans l'or de cet espace, dans sa chaleur pénétrante, elle voudrait s'y abandonner. Mais elle ne s'appartient pas. Pas encore. Il reste un lien, un seul. Un lien ténu, fragile, mais qui suffit à la retenir dans cette vie-là. Un fil qui l'empêche de bondir et de tomber vers le haut.

Alors, à la fois ici et là-bas, elle se fait vecteur, pont pour que traverse la joie, et plus, l'Amour-au-delà-de-l'amour. Et lentement traversée, elle apprends lentement à laisser un peu moins de place à la colère, à la peur et beaucoup plus à la joie, à la bienveillance, à la caresse, au velours.

Ce n'est pas une sainte, c'est juste un être humain. Elle se sait perfectible, s'accepte comme telle sans humilité excessive, calmement. Elle se pose en elle, ose s'habiter pleinement même s'il reste des pointes et des fissures, elle les regarde désormais comme étant ordinaires, sans pouvoir de nuisance.

Champs des possibles




Il est abeille.

Affairé, agité, fiévreux, erratique. Prince en livrée de velours aux bottes de chitine. Ici, là, ailleurs. Tout le temps ailleurs, jamais présent ou très temporairement. Sa voie est une ligne brisée.

Elle est fleur.

Immobile jusqu'au coeur. Posée, monolithique, tranquille. Cercle parfait. La calme lumière coule d'en haut à l'intérieur de sa tête. Sa voie est un point: le centre de l'univers.

Elle le regarde amusée, étonnée, agacée, compréhensive, bienveillante. Partagée. Elle voudrait qu'il cesse. Qu'il se pose et fasse son miel. Son or. Elle aimerait mais elle sait. Que son agitation est une fuite en avant de la douleur et de la peur, elle voudrait pourrait l'aider, n'en a pas le désir.

Tout doit venir de lui.

La fleur au coeur immobile voit par cet oeil unique. Elle se tait désormais n'intervient pas sachant qu'il muera. Ou pas. Mais même cette erreur lui appartient. A lui. Seul.

Pour l'heure elle l'observe et comme toujours, en miroir, il lui renvoie son image à elle. Sur sa peau elle se voit. Elle s'apprend. Et en tendresse, elle mûrit. C'est lui qui par ses errements la mène aux portes de l'hyperconscience. A l'élargissement de tous ses champs. C'est par lui, petite abeille bouillonnante et appliquée à la dissipation, qu'elle redevient univers.

Elle l'aime. Comme on aime son livre préféré: celui par lequel on est révélé. Elle veille.

Elle l'enveloppe de lumière tendre, espérant qu'elle pourra pénétrer son petit corps d'abeille.

Et l'apaiser.


Robert Mitchie

Tête levée





Les nuages du jour ressemblent à des barques à fond plat.
Ils dérivent lentement
sur une eau invisible où nous sommes, tout au fond
poissons envasés...

Les nuages c'est tellement beau
qu'on croirait que c'est faux.