Christian que j'aime




 "Je n'aime pas ceux qui parlent de Dieu comme d'une valeur sûre.
Je n'aime pas non plus ceux qui en parlent comme d'une infirmité de l'intelligence.
Je n'aime pas ceux qui savent, j'aime ceux qui aiment."

Christian Bobin in "Autoportrait au radiateur"
 

Suite balnéaire (3)





Surveiller la météo d'abord.

Prévision à cinq jours, trois, deux, un. Il fait beau? Partez!

Couler avec le flot vers la côte. Deux accidents en « post-it » pour se souvenir que "c'est si vite arrivé". Les bouchons c'étaient hier, aujourd'hui la route semble glisser comme le dos d'un chat qui s'étire sous la caresse du soleil.

Jouir du changement de paysage, passer du vert au maquis. Le Gard et ses clochetons de pierre sèche au-dessus des églises, les touffes de végétaux un peu maigres, économes, épineux.

Puis la sentir. Des kilomètres avant, son haleine parfumée. L'imperceptible frisson, vague émotion au creux du ventre de savoir celui du monde si près. La mer.

Arriver encore tôt et avoir plein de places où se garer. Un luxe.Tomber la chemise pour le maillot. Avoir pensé à tout, à tout y compris à la bobologie, sauf à son maillot qui bronze à la maison dans le tiroir en compagnie des petites culottes. Cornecocu! Avec son mari râlant en sourdine aller au pas de charge jusqu'à la station et acheter vite fait à prix d'or une tenue affreuse pour le bain. Sans l'essayer. Avoir une vision si déformée de son corps qu'on a choisi un maillot deux fois trop grand, une barboteuse inconfortable pour la journée. Qui baille si fort aux jambes que chaque fois que je bouge les vacanciers échoués sur le sable peuvent admirer ma lune ou mon soleil.

Heureusement ma soeur a dans son escarcelle des épingles à nourrice: j'invente le maillot punk.

Ma mer est froide.

Elle se prend pour la mer du Nord une fois de plus. Pas de méduse à dix-huit degrés, pas si folles.J'y vais quand même, ce n'est pas la température glaciale de l'eau qui va me gâcher mon plaisir !

En fait, si. J'ai les pattes sciées.

Midi. Nous dégustons des sandwichs jambon-beurre qui crissent sous la dent. C'est que Mistral nous a suivi depuis la vallée du Rhône où il souffle comme un forcené, crie dans sa camisole, entre Alpes et Cévennes. On revient croûtés, crépis, mais la peau douce à force de gommage à la crème solaire et au sable. Quand je pense qu'il y en a qui paient pour ça.

Ma fille pudique en diable s'offusque des vieux nichons qui traînent sur la plage sans aucun complexe. En riant je lui explique que la gravité est sans pitié et qu'elle tire tout vers le bas. Les seins, les ventres. Jeunesse sans pitié qui nous verrait bien nous baigner, nous femmes mûres, en costume début 1900, pour ne pas offenser leurs jeunes yeux.

Quinze heures une glace à l'eau goût citron vert. J'adore le sorbet de citron vert. Les vendeurs de glace paraissent caramélisés à force de soleil. Leurs "chichis" n'ont pas beaucoup de succès. Quelques gens du nord à couenne cramoisie bien grasse mangent des beignets gras. De belles peaux blanches s’offrent à crédit leur futur mélanome. Des seniors s’exposent presque nus en dignes héritiers du "flower power", la jeunesse a remballé ses strings. La pudeur est de nouveau tendance.


 J’ai marché dans ton ventre. J’ai marché longtemps dans tes eaux originelles au parfum placentaire. J’y étais bien, régénérée, il y avait mon père par-dessus ma tête couverte de paille, donc de terre. J’étais au centre invisible de tout, au centre de rien. Dans un nœud énergétique que nul ne voyait, que moi. J’étais dans la juste vibration puisque j’étais dans ton haleine, au point UN de la Vie. Qui d’autre était là ? Je ne saurai le dire. Y en avait-il d’autres à tressaillir, à vibrer, à transcender la plage couverte de morts ?...

La chanson d'Eurydice















Orphée...

Puisque les serpents menacent
Et qu’il ne nous est pas permis de nous aimer
Hors des enfers.
Pour échapper aux regards questeurs des vivants
Et des ombres,
Je t’aimerai à leur insu,
Dans tous les angles morts.

Je te ferai des signes, te frôlerai par l’herbe
Et la branche d’un printemps
Presque nue.
Je serai la chaleur du midi
Sur ta joue, une abeille en grève de pollen
Un papillon émotif, une fleur, un parfum.
Tout ce qui est doux en ce monde
Tout ce qui fait du bien,
Ce sera moi pour toi.

Ecoute! Sois tout entier dans la présence
Et mon chant silencieux qui questionne l’espace
Te portera mon amour mieux que ma voix.

D.T 2015