Accordée


Tracy Cheng



Il m'écoute chanter l'amour
sans angoisse,
il sourit, il est calme en son coeur.
Il sait que ma peau est à lui
mon sang, ma sueur,
mes rires d'oiseau moqueur,
ma fourrure, sinon ma plume.

Il devine ma tête de pigeon voyageur
qui vole loin de lui
vers des mers intérieures,
des terres où il n'est pas seigneur,
où d'autres parfois m'appellent
et me retiennent.
Mais il  sait aussi que je reviendrai toujours
puisque tout contre lui,
mes racines demeurent.

Son intuition lui dit
qu'aucun autre jamais n'aura de bras
pour mes peurs.
Et même s'il me sent troublée par des mots
des baisers d'ailleurs,
il est à mon âme de lierre
le chêne compagnon, pour monter vers la lumière
mon essentiel tuteur...


2015

Madeleines






Rien ne m'évoque plus l'été que le pin parasol.
Même au creux blanc de l'hiver
Contre son tronc de grand brûlé
Flotte l'odeur de la garrigue surchauffée.
Marcher sur le tapis glissant
De ses aiguilles tombées
C'est agiter la Provence
Comme un mouchoir parfumé.

J'aime aussi le peuplier. Son allure toujours juvénile
élancé comme une jeune fille.
Et sa menue monnaie
qui bruisse dans les poches du vent.
La peupleraie de mes souvenirs d'enfance,
anormalement alignée par une main d'homme,
frémit et chante et grince à jamais
dans mon corps caisse de résonance.
Je suis encore l'enfant allongée
le dos contre la terre, les yeux dans ceux d'un ciel
où tente de s'envoler
des milliards de feuilles argentées.

Et ce chant qui s'élève
c'est celui des esclaves qui ne peuvent
se libérer.


2015

Printemps







Le printemps est un coeur
qui bat, pompe et pousse
hors la terre, comme un sang
un torrent, la sève
et chaque branche gorgée,
débordée
prise dans une irrépressible turgescence,
se tend, se tend
jusqu'à faire éclater ses bourgeons rouges
comme autant de petits glands
qui fleuriront féminins.


2015

Sylvie Houtmann

Au-delà de tout


Roberto FERRI





Tu sais bien sûr, que je t'aimerai toujours,
comme on aime son vice le plus ostentatoire,
sa bouteille cachée
sa poudre au nez, son petit pois anxiolytique
de princesse qui a perdu toutes ses nuits...

Je continuerai à aimer ce rêve solitaire, au coeur toujours ardent
dans ses voiles passés.

Car mon âme t'aime encore même si mon coeur, plus.



2008

Jours de lumière





Gosses des vieux quartiers de la basse ville.
Nous jouions à cache-cache dans l'église.
Je me cachais derrière son dos
et sur sa croix, je le sentais sourire.


Le curé était sévère.
Mais nous n'étions guère plus qu'une poignée de souris
Nos rires comme nos pas, étaient menus :
Il ne nous a jamais surpris.





Le lieu me fascinait.

Sa pierre, sa lumière, les rangées de vieux bancs
usés par tant de mains, de coudes et de derrières.
la Collégiale était pétrie de prières,
le plus sûr des mortiers pour affronter le Temps.

Quelque chose flottait entre ses murs épais,
c'est ma chair qui le percevait.
J'étais habitée, je l'ai toujours été
déjà en haut de mes collines, je parlais au vent
et il me rassurait.

Parfois, par caprice, j'allais à la messe. Seule.
Je posais mes dix ans au bord de la foi bien apprise des autres,
cercle mystérieux des fidèles enfermés.

Je n'y pénétrais pas. J’assistais au spectacle.

A l'instant de l'eucharistie, je mourrai d'envie de m'avancer
de marcher avec le troupeau, d'aller te boire et te manger
mais c'était péché.

J'ignorais alors qu'il y a bien d'autres manières
De communier.


 2007