Du temps perdu



Parce que ce serait du temps perdu
et que je n'ai plus beaucoup d'eau
dans ma clepsydre
je m'éloigne pour ne pas te haïr.

Parce que tous les malentendus
ces mots qui m'ont rayé le coeur
comme un vieux disque
qui bute contre une larme
plutôt qu'un rire,
partir.

Tourner la tête en emportant ses yeux
aussi loin que possible
donner tout au fond une poussée
et défaire l'attraction
qui n'entraine qu'à l'abime.

Parce que le fol espoir à les cheveux bleus
du ciel
et qu'en moi l'amour toujours d'en haut
appelle,

partir.

Parce que j'ai déjà perdu trop de temps
à caresser les chimères,
les contours d'un rêve saugrenu
plein d'épines,
puisque tu ne m'aimes pas
et que je ne t'aime plus,
partir.


2013

Christian Schloe



Bilan au deux tiers



Il me disait qu'il n'avait besoin de personne pour avancer.

Je n'ai pourtant jamais connu quelqu'un qui avait autant besoin des autres. Qui était aussi heureux de s'enfermer avec quelques uns.Pour avoir chaud. Pour ne plus trembler.

J'ai longtemps brûlé de faire "partie de". Des miens, des siens, d'être avec les autres ou quelques uns. Dès l'enfance j'ai démontré ce que l'on appelle des "qualités de chef". J'étais le moteur capable de mettre tout un groupe en marche. Puis j'ai grandi. J'ai laissé beaucoup d’enthousiasme aux blessures de l'adolescence. Ma véritable nature a pris le dessus je crois. Je me suis détachée naturellement des groupes pour en devenir l'observateur. Et ce que je voyais ne me plaisait pas toujours.

Le groupe sépare.De tous les autres. Du monde.Je ne voulais pas être séparée et sans vraiment m'en apercevoir je me suis satellisée. J'ai commencé à monter. De plus en plus haut. De plus en plus loin.J'étais toujours chaude mais lointaine. Un peu comme Vénus, ma planète totem, brûlante mais si loin. Si proche du soleil. Si proche de la destruction.

Je suis devenu un électron libre considérant la masse. Silencieux. Pas une sorte d'ermite acerbe, non, j'allais dans l'amour. Je tâchais de rester dans la tendresse bien qu'elle soit souvent mise à rude épreuve par moi-même et les autres. Je restais tributaire d'une grande réactivité, d'une émotivité difficilement contrôlable. Ne pas réagir demandait un véritable effort. Amoindrir, user la violence intrinsèque. Se polir jusqu'à être ronde. Mais pas trop lisse.Lisse serait ennuyeux.

Me voilà au dernier tiers de ma vie. Dans l'acceptation totale de ma singularité d'électron. Il n'y a plus de guerre sur mes terres intérieures, les conflits y sont de plus en plus rares. Un soleil mûr se lève. Il chauffe sans excès. Mon volcan s'endort sans s'éteindre: longtemps encore il bouillonnera en sourdine. Mais la joie le caressera comme un chat qui fait le gros dos, pour qu'il s'apaise et ne fasse plus trop de dégâts.

La compassion a pris doucement lentement le relais. J'observe mon regard sur les êtres, je vois tant de blessures, de fractures mal ressoudées, je n'ignore plus rien: comment les condamner? Je suis très souvent soulevée de tendresse pour ce monde et ses habitants qui font leur possible pour être simplement heureux malgré tout le mal qui leur est fait par une poignée de perdus. Je parcoure les derniers kilomètres qui demeurent pour refermer ma boucle, je n'ai pas peur de la fin qui va commencer. Je suis simplement heureuse.