Constatations d'usage

Cézanne


"Vanité n'est pas orgueil, mon bon Fleuriot."

"Vanité est vide, orgueil est une trompette de cuivre, une poignée d'or jetée à la gueule du soleil. J'ai connu des vaniteux. Ils sonnent creux. Ce sont de pauvres gens, les blessés d'une guerre ignorée, tue pudiquement. N'empêche qu'ils se donnent les grands atours des cons en ne voulant pas dire qui ils sont vraiment." Sur ce il avala une grande lampée de rouge-qui-tâche.

"J'en ai connu un qui méprisait les faibles du haut de sa supposée supériorité. Il disait "la plèbe" avec la bouche pincée. Bin figures-toi qu'il agissait exactement comme cette plèbe qu'il vomissait: quand passaient les puissants il bêlait. Il se gonflait du jabot tout frétillant de connaître untel qui avait fréquenté les "têtes couronnées", s'ébaubissait d'avoir pour amie une donzelle qui était baronne. J'aurai dû lui demander si elle chiait des fleurs de lys tiens! Rien que pour voir sa tête!" Il se jeta une nouvelle rasade derrière la cravate.

"Mais tu me connais mon bon Fleuriot, moi je dis rien, j'observe, je compte les points de suture, je suis pas méchant. C'est juste que je supporte pas la bêtise surtout quand elle méprise. Méprise, en voilà un mot qu'est astucieux dans son double sens. Parce que dans la caboche d'un vaniteux y a souvent méprise. Aussi. J'aurai préféré que le type, là, il soit orgueilleux. Mais pour ça il faut de l'or, beaucoup d'or et lui il venait d'une famille de rien comme dit l'autre, de l'or il en avait pas. Il avait pas su en cueillir enfant pour en faire des tas à l'automne, pour les jours où il pleut. Il avait pas su regarder le ciel et ramasser les éclairs aussi bien que les arcs-en-ciel, et la neige, la neige... C'est une grâce ça tu sais mon bon Fleuriot, je croyais qu'on était tous capables de ça quand on est gosse, d'être légers et transparents au point de vivre entre deux mondes: le visible et l'invisible. Mais non, c'est une grâce qu'on a parfois, on sait pas trop pourquoi. Lui il l'a pas reçu mais il fait comme si. Alors ça marche avec les autres mais pas avec ceux qui l'ont vraiment, la grâce, tu vois ce que je veux dire Fleuriot? (Fleuriot acquiesça gravement du chef) Ceux qui ont la grâce ils sont infiniment patients, tendres, alors ils disent rien, longtemps. Ils regardent, parfois ils secouent la tête en se demandant comment on peut être aussi con en même temps que très savant, aussi aveugle, incapable à ce point d'anticiper les réactions des autres, incapable à ce point d'empathie. Peut-être que le savoir prend trop de place et qu'il mange celle du coeur, celle de l'âme, va savoir...

-Et qu'est-ce qu'il est devenu ce type au bout du compte?

-Bah...rien. Il a eut beau se parer de titres et d'étiquettes qui ne flattaient que lui et grisaient les sots, il n'a finalement pas atteint ce qu'il désirait plus que tout au monde: ne pas être ignoré. Il n'a jamais compris que pour être heureux il fallait être du côté du silence, de l'invisibilité, combien c'était bon de se fondre et de ne faire qu'un avec le monde. Il aurait pu être très heureux mais il a méprisé sa chance de l'être en n'écoutant jamais que lui, que sa vanité, que son vide...et le vide t'imagine bien Fleuriot, que ça dit pas grand chose. Ah! Si seulement il avait été orgueilleux...au moins eut-il brûlé comme le soleil...

9 commentaires:


  1. J'ignore si je suis plus vaniteux qu'orgueilleux. Mais en tout cas, en l'occurrence, je suis parfaitement jaloux de ce texte ! ;-)

    Une fois encore, quelle densité, quel enseignement.
    On se sent forcément renvoyé à soi-même.
    Entre autres, j'ai beaucoup aimé ceci :
    «… combien c'est bon de se fondre et de ne faire qu'un avec le monde » et la phrase qui suit.
    Voilà en quelques mots livré un des secrets du bonheur…
    Merci grandement pour ce beau texte et son épaisseur humaine

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Coucou Alain! Ah je t'aime toi, parce que tu vois ce qu'il y a à voir. Et que ce texte il a des profondeurs et surtout c'est un texte plein de tendresse même s'il n'en a pas l'air au premier abord. C'est le fruit d'une longue réflexion, d'un lent mijotage, de macérations. Et tout ça en principe ça débouche sur du bon. En gros ce texte il dit quoi? "T'es con mais je t'aime malgré tout" Et c'est bien là l'esentiel à mes yeux ;)

      Bises mon ami

      Supprimer
  2. Quelle excellent point de départ que de faire parler un tableau de maître...
    Bravo pour ce dialogue effectivement profond et réflexif.
    Que dire de plus et de mieux que le commentaire d'Alain ?
    C'est une leçon de vie grande et admirable.
    J'aime beaucoup la phrase « Ceux qui ont la grâce, ils sont infiniment patients, tendres, alors ils disent rien, longtemps. »
    Merci pour ce beau texte
    ¸¸.•*¨*• 🦋

    RépondreSupprimer
  3. Coucou Célestine :) Les conversations de comptoir peuvent être plus...que des conversations de comptoir ;) Comment vas-tu? Je suis peu sur mon blogs et ceux de mes camarades pour cause de recherches généalogiques. Je n'ai jamais caché ici combien les racines familiales avaient de l'importance pour moi. C'est un travail de fourmi passionnant, et quand je retrouve un aïeul je ressens une grande joie, comme si je retrouvais un visage perdu...

    Bisou et merci de m'avoir lu :)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je vais très bien, mieux que jamais, je dirais même...
      Touchée par une grâce...
      Bisous ma belle
       •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

      Supprimer
  4. Je te souhaite une très belle et douce année, Désirée.
    Bisous sincères et étoilés
     •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. A toi aussi ma belle Célestine, à toi aussi, belle et douce année. Bisous

      Supprimer
  5. Tiens! Une autre plume. Fille de Cézanne et Giono...

    RépondreSupprimer