Noir sur or

 



Il y avait autour de son nom

le rire gras des hommes

et le silence courbé des femmes.

Elle boitait la pauvre fille:

ils l'avaient surnommée

"la cane".

C'était la bonne, ils se vantaient tous

de l'avoir prise, 

du grand-père aux petits-fils

contre l'évier, dans la remise.

Ils parlaient fort entre eux,

ignorant les enfants, la mine réjouie

et l'œil un peu trop brillant.

Les garçons gloussaient sans raison,

tandis qu'en moi une petite chose 

blanche et ténue tremblait

sans que je sache pourquoi.

Des oiseaux noirs aux ailes poisseuses, 

traversaient alors pesamment

l'or de mon enfance

et salissaient pour toujours

ma mémoire...



2024

11 commentaires:

  1. J'ai supposé que la photo était celle de la personne en question.
    Ahh la vantardise des hommes qui n'ont concrètement rien fait d'autre que proférer des conneries au niveau de leurs braguettes. Et les femmes taiseuses, ça n'arrange rien pour les petites filles auxquelles on porte atteinte à l'intime blancheur de l'âme et du corps.
    Un texte très fort et prenant le lecteur jusqu'au tréfonds de l'être.
    Tu m'impressionnes toujours plus.

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  2. J'ai choisi l'image d'une cycliste parce que cette femme elle arrivait sur un vieux vélo, toute vêtue de noir. Et qu'elle me faisait peur. Je n'ai jamais entendu le son de sa voix. Elle venait en silence chez ses maître -comme tant de domestiques d'autrefois- exécutait les besognes qu'on lui confiait en silence. Et comme tant d'autres domestiques elle était violée par le maître et plus tard ses fils. Je ne l'ai compris qu'adulte à des propos de mon père. Elle n'était pas pour eux une personne, elle n'était qu'une bonne, un objet dont on peut user à loisir. Et se moquer cruellement aussi. J'adorais ces gens qui pouvaient être par ailleurs d'une bonté lumineuse, mais la médaille avait son revers de ténèbres. L'ombre sur mon enfance dorée...

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  3. Moi aussi tu m'impressionneras toujours par ta capacité à révéler en quelques lignes tout un pan de l'expérience humaine. Tous ceux dont tu parles ici ont été profondément blessés dans "l'or de leur enfance". Bienvenue dans le monde des humains dont l'innocence se trouve très tôt salie d'une façon ou d'une autre. Et c'est là que le monde se divise en abuseurs et abusés.
    Pour moi, les événements furent différents mais je me souviens parfaitement des moments où en moi "cette petite chose blanche et ténue" fut blessée à jamais. À jamais ? pas nécessairement ! car mon innocence est toujours demeurée là sous les couches de saletés. Mon travail maintenant est de dissoudre ces tâches incrustée comme un linge souillé retrouve son éclat s'il trempe longtemps dans l'eau savonneuse. Possible que les paraboles ne te disent rien, mais pour moi celle-ci prend tout son sens ici : "Si vous ne devenez comme les petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux." Revenir à ce merveilleux état de l'enfance, avant que les perturbations ne viennent me faire oublier qui je suis et m'amènent à me débattre dans un monde peuplé de fantômes. kéa

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    1. Oui, heureusement que notre lumière intérieure n'est pas gâchée par ces actes affreux dont nous sommes témoins. Que peuvent des enfants face à des comportements qu'aucun adulte ne réprouvent? Pas grand chose. Mais devenue femme j'ai ressenti un grand malaise quand mon père a évoqué un jour cette période, et tout m'est revenu, la compréhension avec.
      Tu vois c'est drôle que tu cites cette parabole parce que quand ma mémoire repart en arrière, que je me glisse à nouveau dans mon corps d'enfant, je réalise combien j'étais innocente, lumineuse, une enfant avec de grands yeux et un visage souriant. J'étais tout le temps joyeuse, sans haine, sans colère. Que c'est beau l'enfance! Je ne sais ce qui nous protège de la société si cruelle des Hommes mais on peut le/la remercier.

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  4. Non contents de la violer, ils insultaient cette femme en la traitant de cane!.
    Comment ne pas trembler quand on assite à une atteinte à l'humanité d'un "être humain? J'aime tes poèmes qui laissent transparaître ta belle sensibilité.

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    1. Oui, c'est moche. Tu sais que longtemps je n'ai pas compris pourquoi ils l'appelaient comme cela. Dans mon esprit de petite fille je voyais une "canne" et elle n'en avait pas. C'est bien plus tard que j'ai saisi que c'était à cause de sa démarche. Pauvre femme...

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  5. Combien cette femme a dû souffrir, être ainsi considérée comme un objet pour assouvir les pulsions de ces hommes. Combien elle a dû pleurer, impuissante et soumise. J'en ai la nausée... Et elle n'était pas la seule dans ce cas-là, les femmes, encore plus les bonnes, étaient bien peu de chose en ce temps-là...
    Un texte court, mais si fort, si révoltant.

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    1. Oui bien peu de choses, en effet. J'ai eu sous les yeux il y a quelques années le code de conduite légal des domestiques. Le "maître" avait tout pouvoir sur les domestiques. Ceux-ci n'avaient pas le droit de se marier. Et gare à celles qui tombaient enceintes: elles étaient aussitôt chassées, rejetées par leur communauté. C'est toujours la faute d'Eve c'est bien connu.

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  6. Ton poème est bouleversant, comme ces oiseaux aux ailes poisseuses qui salissent l'or de ton enfance,
    la salissure qui gâche le goût de la vie, l'odieux dégoûtant qui se prélasse ici bas.
    Il paraît (dixit les psychothérapeutes) que l'on peut nettoyer la saleté qui obstrue le coeur et encombre le chemin du bonheur, mais est-ce bien vrai ? Nul doute que le pire soit le silence.
    Ton texte est très poignant.

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    1. Je ne sais pas. Il y avait une ombre dans ma mémoire que la beauté du monde avait soigneusement mais partiellement dissimulée. Un jour je suis devenue trop "grande" pour continuer à me cacher la vérité. Et la vérité fait souvent mal. J'imagine que je peux encore évoquer l'or de mon enfance si j'en exclue les adultes d'alors. Mais je ne peux plus croire à la totale bonté de personnes qui se sont si mal comportées avec une autre fragile et soumise. Oui le pire c'est le silence, le dire c'est reconnaître la faute, dire "oui c'était ignoble" et je ne suis pas d'accord avec cela, c'est peu mais si la victime était encore de ce monde ce serait déjà un pas en avant.

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  7. J'ai gardé de ma jeunesse meurtrie une aversion épidermique pour le mot viol. Et c'est la seule colère qui me reste. Lire ton texte m'a profondément touchée. Il est peint comme un tableau, par petites touches.
    Il fait mal là où il doit, à la féminité épinglée par le machisme millénaire. Il secoue. Il joue sa partition dans le devoir de mémoire. Merci chère Désirée.
     •.¸¸.•*`*•.¸¸☆

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