En son milieu



Par là
c'est déjà la nuit,
le coin de l'oeil gauche s'effraie
de ses longs bras tentaculaires
qui empoignent au ciel, les restes de lumière
et les engloutit.

Mon oeil droit s'accroche fébrilement
au sillage d'un soleil disparu,
ultimes flamboiements d'or pur
qui sombrent là-bas,
au ras d'un horizon vaporeux.

-encore, encore, donne-m'en encore-

Le monde fait la bascule
d'un coup tout est fini.

Voilà mes deux yeux dans la nuit.
Je n'aime pas la nuit
Je n'aime pas la nuit
Et les étoiles ne me rassurent plus.


2017 ...sur la route, vers Angers.

Amours parallèles



Comme un papillon
une pincée de lumière, ronde
sur l'épaule
cela nous suit, parfois marche
à nos côtés
quand on se fait légers, légers
qu'on laisse toute la chair
en arrière, qu'on ne garde que le battement,
l'écho du battement,
le reflet sur la pierre,
ce diamant qu'on ne taillera jamais,
- et pour quoi faire-
puisqu'on vit un amour parallèle,
qui nous suit, parfois nous précède,
fait la ronde et nous encercle
sans nous tenir prisonniers,
puisque nous marchons côte à côte
sans jamais nous toucher,
et pourtant transpercés
par la même flèche tirée
en plein soleil et que marchant
côte à côte, nous en sommes
réchauffés.



2017
Christian Schloe







An neuf. Ou dix.




Éteins la lampe
laisse la lumière au soleil,
que l'ombre regagne son coin
et s'y tienne serrée.
Ouvre la fenêtre
qu'entre le froid lumineux de janvier
avec ses perles de glace
dans la barbe blanche.
Vois comme tu respires mieux
alors que fleurit un paysage de montagne
à l'intérieur de tes poumons.
Éteins la lampe
comme on éteindrait l'éternelle nuit,
et tiens-toi au balcon
le coeur battant
pour accueillir le nouveau jour.


2017 aux premières heures...

Baptiste




Maud vit Hélène de loin sur la petite place à l'entrée de la ville: elle portait son second enfant dans les bras. Dès qu'elle l'aperçut, celle-ci hâta le pas.

Au fur et à mesure qu'elle se rapprochait vivement, Maud remarqua ses yeux cernés, son visage tendu, mais surtout son attention fut captivée par l'enfant: il était d'une incroyable beauté! Un chérubin. Avec des yeux qui ne pouvaient qu'étonner, fasciner. Des iris d'or pâle presque luminescents.

Les deux femmes se saluèrent et s'embrassèrent. Maud perçut nettement la fébrilité d'Hélène et elle culpabilisa de n'avoir pas pris de ses nouvelles depuis de nombreuses semaines. Comme elle s'inquiétait à haute voix, Hélène lui expliqua que son fils, le petit Baptiste, était "très prenant" et qu'il ne lui laissait pas une seconde de répit. Au même moment le garçonnet tendit ses petits bras vers Maud qui se sentit aussi flattée que si Apollon et Narcisse réunis l'avaient couronnée de roses. C'était stupide et elle en avait conscience. Elle s'extasiait encore sur la beauté de l'enfant, mettant par la même occasion un peu de baume au coeur de sa mère, quand elle le vit se renfrogner graduellement, puis la repousser en jetant son petit corps en arrière. Leurs regards un instant se croisèrent et Maud en une fraction de seconde comprit ce qui se passait. Elle attrapa la menotte qui battait l'air et attira l'enfant à elle:

"Toi, tu en as assez qu'on te parle de ton joli visage, n'est-ce pas? Cela t'ennuie." Baptiste cessa aussitôt de se tortiller et la toisa avec une intensité rare. Maud pensa que décidément ce gamin n'était pas ordinaire. Il y avait dans son regard d'or pur un mélange d'inquiétude et d'espoir. Maud sourit.

"Est-ce qu'il a des livres? demanda t'elle à son amie, mue par une soudaine intuition.
- Oui, je lui donne ceux d'Emilie au même âge mais il me les jette à la figure! Je ne sais plus quoi faire, il n'arrête pas, il est tout le temps agité ou triste dans son coin. Il n'aime pas les jouets et casse tous ceux que nous lui offrons. Je ne sais plus que faire, le pédiatre lui a prescrit des sortes de calmants mais je n'ai aucune envie de droguer mon bébé...
-Donne-lui d'autres livres.
-D'autres livres?..Hélène la regardait sans comprendre.
-Donne-lui des livres pour enfants plus âgés. Je te parie qu'il va les adorer! N'est-ce pas Baptiste?"

Les yeux d'or s'illuminèrent.



Trois semaines passèrent. Et Maud fut invitée à prendre le thé chez Hélène.

"-Au début les livres l'ont beaucoup occupé, raconta Hélène, il regardait chaque page avec attention, et puis voilà que de nouveau il est invivable. Les livres ne l'intéressent plus." Maud sourit, fit un clin d'oeil à Baptiste qui était debout -il marchait désormais - appuyé contre ses jambes, les deux coudes sur ses genoux. Il la regardait ou plutôt il la dévorait du regard: visiblement il attendait quelque chose d'elle. Qu'elle le sauve de l'ennui par exemple. Maud regarda Hélène et lui demanda:

"- Ce sont toujours les mêmes livres que tu lui proposes?
- Heu...oui, pourquoi?
- En moyenne Hélène, combien de fois lis-tu un livre?
- Une fois...tu veux dire qu'il se lasse de les regarder?
- Je veux dire qu'il se lasse DE LES LIRE.
- De les lire? Tu plaisantes, il n'a que quinze mois, il se contente de regarder les images!
- Non, je ne crois pas Hélène, je crois que nous avons-là un adorable petit garçon très, très intelligent. N'est-ce pas Baptiste? "

Baptiste fit un bruit d'approbation avec sa bouche et tout son visage sourit: il était juste magnifique. A tout point de vue. Hélène soupira, elle était exténuée, grise, ne croyant pas du tout à l'intelligence exceptionnelle de son rejeton, ne voyant que son évidente et dévorante beauté.

"- Tu es fatiguée Hélène, tu devrais te reposer.
- Je le voudrai bien mais Baptiste ne m'en laisse pas le loisir.
- Bien, si tu le souhaites je l'emmène en balade aujourd'hui.
- Vraiment? Tu es sûre que cela ne te dérange pas? C'est vrai que je pourrai faire une petite sieste, m'occuper un peu d'Emilie, Baptiste dévore tout mon temps et celui de son père pareillement...
- Oui, allez c'est dit, j'emmène ton petit vampire en promenade!"


Dans la rue, Maud se pencha sur la poussette, murmurant à l'oreille du petit:

"- Je t'emmène dans un monde merveilleux, à deux pas d'ici." Le gosse la toisa avec des yeux gourmands et bava un peu. Maud traversa le pont, l'emmena tout simplement à la médiathèque de sa ville. Devant tous les rayonnages et la montagne de livres, Baptiste battit des mains, fit des tas de bruits enfantins avec sa bouche, prononça des mots de lui seul compréhensibles, il était aux anges. Bien sûr il dût supporter l'ébahissement des badauds, les caresses sur ses joues, les "Comme il est beau ce bébé" mais quand Maud l'aida à quitter sa poussette il se sentit pousser des ailes! Maud attrapa au passage des livres d'Art, un Jules Verne puis posa Baptiste dans un fauteuil en lui murmurant complice: "Régale-toi".

Le soir, elle insista pour qu'Hélène inscrive Baptiste à la médiathèque avec à la clé l'argument massue "que non seulement elle le rendrait heureux mais qu'en plus elle aurait un peu de paix". Elle obtempéra dès le lendemain Baptiste lui ayant fait comprendre en étant particulièrement insupportable qu'il en avait besoin. Il fallut encore tout un mois à Maud pour la convaincre de prendre rendez-vous chez un spécialiste des enfants précoces qui tomba de sa chaise au vu des résultats faramineux de l'enfant.

Baptiste était tout simplement un génie comme on en avait rarement rencontré depuis que l'on mesurait empiriquement l'intelligence humaine. Et à enfant exceptionnel il fallait une éducation exceptionnelle. A partir de là, la vie s'améliora pour Baptiste et ses parents qui pouvaient désormais "faire quelque chose" pour leur fils. Mais ni Hélène, ni Baptiste n'oublièrent que sans la perspicacité de Maud leur vie eut pu être un enfer...


Vague l'âme





De quelle flamme
gardes-tu la trace mon Âme,
de quel feu disparu,
de quel amour ancien,
que tu soupires à te fendre?

Tu es toute entière encore
tournée vers lui.

Tu flottes en moi
seulement reliée à la terre
par le bout de mon pied,
et tires sur ma vie
comme sur un boulet...


2017