Tempête

 

Jakub Schikaneder


Tempête du siècle, ta mort

a déchiré toutes mes voiles, mes rêves

cassé mes dérives, brisé mon étrave.

Un souffle sombre me retient au fond d'une anse,

la mer me refuse,

tandis qu'un ciel vide m'appelle, 

me tend ses bras immenses

il me faudrait voler pour le rejoindre,

je ne sais plus que ramper.

Depuis que tu as disparu

la dure réalité de ses doigts osseux

me tient par les cheveux:

je vois pâlir les apparences,

venir des ombres autour du bleu.

Mon enfance n'est plus si pimpante,

il y a du noir sale autour du lumineux,

tout ce que je ne voulais pas voir

tout ce que je me cachais

triomphe aujourd'hui devant mes yeux.

Rien ne m'est épargné, tout est si cru

que j'en tremble,

la musique en mon coeur a cessé 

et je ne sais comment guérir

de toute cette vacuité.



2023


7 commentaires:

  1. Voilà plusieurs fois que je relis ton poème. Non pas pour le comprendre, mais pour m'en imprégner. Pour que chaque mot, chaque expression prennent le poids qui vient me toucher jusque dans mes profondeurs les plus sensibles.
    Ai-je déjà lu quelque part un texte aussi puissant sur la perte irrémédiable.
    « Tempête du siècle, ta mort »
    presque tout est dit en cinq mots. Et ensuite tout ce déroule et se développe des dégâts de la tempête, déclinée jusqu'où il est possible.
    Cela m'a rappelé un « amour mort » où j'ai ressenti des choses comparables. J'étais jeune et je n'avais pas les mots comme les tiens pour exprimer. À l'époque moi aussi j'aurais pu dire « la musique en mon cœur a cessé ».
    C'est fort, très fort.
    Mais aussi cela me fait te rejoindre quelque part.
    Alors merci.

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    1. Cher Alain, je continue à sortir mon chagrin, pour lentement m'alléger. Je crois qu'aussi forts que pourrait être mes textes ils sont encore très loin d'exprimer la détresse intense que j'ai ressentie. Il m'aura fallu quatre ans pour retrouver un peu de paix intérieure, quoique ce ne soit pas tout le temps gagné: nous en discutions hier avec ma plus jeune soeur et je sentais ses larmes dans sa gorge. Nous avons respiré un bon coup pour "faire passer". Mais tu vois, le chagrin reste encore en embuscade... Je te rassure quand j'étais jeune moi non plus je n'avais pas les mots. Vieillir a au moins ce privilège que l'on sache mieux débrouiller nos propres fils. Quand à la musique, elle parait revenir, différente, suivant d'autres sources, on verra bien. Mes bises les plus fraternelles

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  2. « la musique en mon cœur a cessé », c'est aussi ce que j'ai ressenti lorsque mon frère est parti, lui, le musicien, le poète, l'homme au grand cœur. Oui, un vide immense s'est emparé de moi. Mais j'ai pensé à ce qu'il aimait, notamment les oiseaux. Les oiseaux que j'ai appris à aimer comme il les aimait, lui, c'était un réconfort. Et la peine s'est doucement estompée, faisant place à un remerciement pour tout ce qu'il m'avait appris, la musique, les oiseaux et bien d'autres choses.
    Désirée, je ne sais si cette disparition est récente ou ancienne, mais tes mots sont poignants, et je te prends dans mes bras pour les apaiser.

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    1. Chère Françoise je compatis sincèrement. Perdre un être aussi proche que son frère ou sa mère c'est un cataclysme pour bien des personnes. Les oiseaux vous réunissent à jamais, c'est une très belle chose. Cela doit en effet t'apporter une grande joie, une forme de paix.
      Ma maman est partie en 2020, très brutalement et dans des conditions très difficiles, que nous avons ressenties comme injustes car en vérité elle est décédée faute de soins. C'était le début du covid et les urgences n'avaient pas de temps à lui consacrer. Il aurait suffit de quelques injections d'insuline et elle aurait été sauvée. Ceci explique sans doute notre chagrin, notre colère, notre amertume...

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  3. Voilà plusieurs fois que je passe ici relire ton poème .....
    Oui parfois l'enfance n'est plus si belle,
    et tout se qu'on ne voulait pas voir se pose devant nous.
    La musique en ton coeur reviendra lentement, un léger adagio pianissimo.

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    1. Bonjour Marcomuch, merci d'être venu jusqu'ici :) Mon enfance sauvageonne a beaucoup nourrie ma plume, mais longtemps je me suis cachée la noire réalité collée à la lumière. Toutes choses dont je me sens capable de parler aujourd'hui simplement, sobrement. La musique revient doucement, un peu mélancolique, un peu "in blue". :)

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  4. Quelle phrase merveilleuse Kéa! Forte et porteuse de promesses et de lumière. Accepter de voir ce qu'on a refusé de voir c'est se libérer des dernières entraves des mensonges que l'on se fait à soi-même. En fait beaucoup de choses m'ont longtemps perturbée, des souvenirs, aujourd'hui je suis capable de les regarder en face et de me dire: "Non, cette personne a très mal agi et elle n'avait aucune excuse". D'ailleurs j'ai commencé à l'écrire. Aller jusqu'au fond des choses, même si certain(e)s pensent que c'est un travail inutile, il ne l'est pas pour moi. Pour une libération totale avant le grand plongeon :)

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